Bangladesh : état des lieux alarmant de la liberté d’informer dans le pays

Face à la recrudescence des atteintes à la liberté de la presse au cours des dernières semaines, Reporters sans frontières (RSF) tire la sonnette d'alarme et demande au gouvernement de Sheikh Hasina de prendre des engagements clairs pour protéger les professionnels des médias.

Harcèlement judiciaire, violences policières, cyberharcèlement, attaques dans l’exercice de leurs fonctions, intimidation de leurs familles… Les formes de pression qui pèsent sur les journalistes bangladais se sont démultipliées au cours de ces dernières semaines. Les initiatives du gouvernement pour protéger les professionnels des médias, elles, se font rares. L’approche des élections législatives, en janvier 2024, laisse, qui plus est, craindre un renforcement de la censure et un durcissement des conditions d’exercice du journalisme indépendant.

Nouvelle loi draconienne

Une chose est sûre, le cabinet de la Première ministre Sheikh Hasina a validé, il y a près d’un mois, le 7 août,  le projet de loi sur la cybersécurité (CSA). Il est censé remplacer la très décriée loi de 2018 sur la sécurité numérique (DSA), régulièrement instrumentalisée par le gouvernement pour réduire au silence les professionnels de l’information critiques à son égard. Or, le nouveau texte n’introduit que des changements cosmétiques et laisse place à une interprétation arbitraire de la loi par les autorités, pouvant toujours porter préjudice au droit d’informer. Pour couronner le tout, la première mouture du projet de loi a été rédigée sans consultation des professionnels des médias, qui ont bénéficié de deux semaines seulement pour soumettre leurs propositions de modifications.

“Le gouvernement de Sheikh Hasina a approuvé ce projet de loi liberticide de manière précipitée, afin de profiter de sa majorité au Parlement, la Jatiya Sangsad, avant les prochaines élections législatives prévues en janvier 2024. RSF demande que ce projet législatif soit abandonné et que la loi de 2018 sur la sécurité numérique soit abrogée. L’organisation appelle les autorités bangladaises à prendre par ailleurs sans tarder des mesures fortes pour que les journalistes soient dûment protégés un contexte de tensions politiques. Les actes de violences commis à l'encontre des professionnels des médias se banalisent, ils ne peuvent plus rester impunis, y compris dans la sphère numérique.

Le bureau Asie du Sud
Reporters sans frontières

Le nouveau projet de loi sur la cybersécurité réduit certes la peine associée à certains délits pour les journalistes. Mais les infractions n’y sont toujours pas définies avec précision, ce qui laisse tout le loisir aux autorités d’interpréter la législation comme bon leur semble.



Le texte doit être adopté par le Parlement, qui se réunit actuellement - depuis le 3 septembre -  pour la dernière session de la présente législature. S’il est voté, le CSA remplacera le DSA avec effet immédiat, ce qui signifie que les affaires ouvertes depuis la loi de 2018 relèveront automatiquement de cette dangereuse nouvelle loi sur la cybersécurité.

Cyberharcèlement

Ironie de ce projet législatif : il ne s’intéresse aucunement à la sécurité des journalistes face aux menaces en ligne dont ils sont la cible. Le fondateur du portail en ligne en langues anglaise et bengalie Anweshan, Asad Noor, est une victime emblématique de ce cyberharcèlement. Forcé de vivre en exil dans la clandestinité depuis 2019, pour échapper aux persécutions de l’État et de groupes islamistes, il s’est de nouveau attiré l’ire de groupes fondamentalistes en juin dernier, lorsqu’il a publié une vidéo pour dénoncer la venue sur le sol britannique du prédicateur islamiste Enayetullah Abbasi. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’un déluge de publications sur les réseaux sociaux appellent au meurtre du blogueur. Le 9 août dernier, alors qu’Enayetullah Abbasi est obligé, par les autorités britanniques,  de quitter le territoire, il prononce une fatwa contre le journaliste Asad Noor le condamnant à mort. Le gouvernement bangladais s’est quant à lui distingué par son silence dans cette affaire.

Pour dénoncer la complaisance récurrente des autorités avec les organisations religieuses extrémistes, RSF et une coalition d’organisations de défense de la liberté de la presse ont d’ailleurs adressé le 30 août une lettre à la Première Ministre Sheikh Hasina pour alerter sur un autre cas de harcèlement en ligne. La journaliste de la chaîne bangladaise RTV Adhora Yasmean a été attaquée après avoir enquêté sur les crimes présumés de l’organisation religieuse Rajarbagh Darbar Sharif. Elle fait de surcroît l'objet d'une enquête au titre de la loi de 2018 sur la sécurité numérique (Digital Security Act), démontrant ainsi que le gouvernement utilise cette loi pour empêcher les journalistes de travailler.

Harcèlement judiciaire 

Autres menaces pesantes sur le travail des journalistes : l’appareil judiciaire est dûment mobilisé pour empêcher les journalistes d’enquêter sur les membres du parti au pouvoir et autres potentats locaux. Dernière affaire en date : les mandats d'arrêt émis le 27 août à l’encontre du journaliste et ancien rédacteur en chef du quotidien Dainik Bangla, Sharifuzzaman Pintu, et son collègue journaliste Arifuzzaman Tuhin. Accusés de diffamation après avoir révélé l’implication d’un journaliste dans un trafic de drogue début janvier, ils ne se sont pas présentés devant le tribunal de première instance de Cox’s Bazar, une ville côtière dans le sud-est du pays. Or les reporters mis en cause affirment n’avoir jamais reçu d’assignation à comparaître devant les tribunaux avant le 27 août et assurent qu’ils auraient comparu s’ils avaient reçu une convocation.

Harcèlement des familles de journalistes en exil



Même lorsqu'ils quittent le pays, les autorités trouvent le moyen de persécuter les journalistes exilés en s’en prenant à leur famille. RSF avait déjà dénoncé, en septembre 2022, l’emprisonnement des frères de Shamsul Alam Liton et Abdur Rab Bhuttow, respectivement rédacteur en chef et journaliste de l’hebdomadaire en anglais et en bengali Weekly Surma, un média particulièrement critique envers le gouvernement de Sheikh Hasina. Les services de renseignement menacent désormais de faire disparaître les deux sœurs de Shamsul Alam Liton et leurs familles, si le journaliste ne cesse pas ses activités.

Banalisation de la violence 



Les attaques violentes contre les journalistes dans l’exercice de leurs fonctions se sont par ailleurs multipliées au cours du mois dernier. Samedi 26 août, pas moins de sept journalistes ont été violemment bousculés alors qu’ils étaient en reportage. Tous couvraient une affaire de bizutage dans la faculté de médecine de Barisal, dans le sud du pays, mettant en cause la Ligue Chhatra, branche estudiantine de la Ligue Awami, parti au pouvoir depuis 2009. 



Le directeur local de la chaîne de télévision privée Channel 24’s, Kausar Hossain Rana, et son collègue Ruhul Amin, ont été violemment bousculés par le directeur de la faculté et deux enseignants. Le personnel de l'établissement s’en est également pris au directeur local de la chaîne de télévision Asian Television, Firoze Mostafa et à son collègue vidéaste. Le correspondant du portail d’information en ligne BanglaNews24.com Mushfiq Sourav a également été attaqué, ainsi que le journaliste de la chaîne de télévision Time Television Shaqil Mahmud et son collègue vidéaste Sumon Hasan.



Le lendemain, trois reporters ont été humiliés dans un hôpital de Jashore, dans le sud-est du pays, alors qu’ils enquêtaient sur la propagation de la dengue dans la région. Ils voulaient simplement interroger dans son bureau le directeur de l'établissement, mais il aurait forcé les trois journalistes à quitter les lieux : le correspondant de la chaîne publique Bangladesh Television, Wahabuzzaman Jhantu, le correspondant de la chaîne de télévision Ekattor TV, SM Farhad et son collègue vidéaste Shaharul Islam Fardin.

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